Blacksad #5, entre route 66 et Beat Generation

Fatigué de la violence, John Blacksad prend l’air en rapportant la Cadillac d’un riche Oklahomain à  Tulsa. L’occasion de vrombir sur la mythique route 66, de côtoyer des blousons noirs, des artistes maudits, des gens du cirque et, cela va s’en dire, un paquet d’emmerdes ! Car la couleur jaune d‘Amarillo, aussi solaire soit-elle, va aussi de pair avec trahison et jalousie…

Cet avis, publié en novembre 2013, révèle des éléments mineurs de l’intrigue.

Un écrivain avec du sang sur les mains, une artiste de cirque au lourd secret, des flics aux trousses d’un Blacksad pris dans ce drôle d’engrenage… À l’image de l’illustration de couverture, Amarillo fuse le temps d’une aventure enlevée aux allures de road movie avec blousons noirs, Cadillac et course-poursuite sur la mythique route 66. Mais plus que des références à  l’Amérique goudronnée, le cinquième Blacksad rend surtout hommage aux plumes de la Beat Generation, aux Kerouac, Ginsberg et Burroughs qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, se sont affranchis de toutes les règles, jusque dans le format de leurs créations, faisant souffler un vent libertaire sur les États-Unis.

D’où Chad Lowell, écrivain maudit auquel Blacksad se confronte, qui se trimballe avec son manuscrit sous forme de rouleau, comme le fut celui de Sur la route de Jack Kerouac. D’où un Bill Sorrows représenté en flamand rose, hommage radical à  William S. Burroughs, chic et distingué malgré sa passion obscène pour les armes. On retrouve aussi Abraham Greenberg, copie presque conforme d’Allen Ginsberg, que l’on avait croisé dans le troisième volet de la série, au sein des « douze apôtres ».

Une communauté si fermée que les personnages ne sont plus humanisés.

Si cette Beat Generation Blacksadienne souffle une liberté excessive et parfois criminelle dans cette aventure sans temps mort, c’est aussi le cas des gens du cirque Sunflower, où Chad trouve refuge après avoir commis l’irréparable. Façon Beat avant l’heure, cette communauté très fermée suit ses propres règles et traverse les États-Unis sans entraves. Marginaux au point que Juanjo Guarnido et Juan Dà­az Canales les mettent en scène sous leur forme animale la plus pure, puisque tous, à  l’exception de quelques dames, ne sont pas humanisés et conservent leur corps animal.

Amarillo, c’est aussi une couleur, le jaune, lumineux mais également associé à  la trahison et à  la jalousie, des thèmes que l’on retrouve dans cet album bien plus sombre que ses planches ne le laissent croire. John a beau expliquer en avoir marre de la violence, l’aventure ne lui épargne aucun moment difficile. Et si l’avocat Neal Beato irradie les pages de sa bonne humeur, au point de voler la vedette au reste du casting, le propos reste foncièrement dur, avec un Chad Lowell au bout du rouleau, dont le comportement autodestructeur est limite anxiogène.

Dans “Amarillo, John Blacksad est absent la moitié des planches

Moins classique qu’il n’y paraît, Amarillo reste un album exigeant, gorgé de références à  la culture américaine, dans lequel Blacksad s’efface devant des Beats endiablés. C’est simple, le détective est absent la moitié des planches, et même si les auteurs dévoilent quelques aspects de sa vie familiale, le héros manque tout de même pas mal dans cette aventure sur laquelle il semble avoir si peu prise. Un parti-pris audacieux, mais frustrant.

Reste une question en suspens. Quel sera le prochain leitmotiv coloré de Blacksad, après des tomes imprégnés de noir, de blanc, de rouge, de bleu, puis de jaune ? Violet ? Vert ? Rien de tout ça ! Amarillo clôt le cycle des couleurs et le sixième opus, à  paraître en 2020, serait celui du retour aux sources, avec une enquête new-yorkaise résolument… noire !

JK

Blacksad #5,
Amarillo,
Juanjo Guarnido, Juan Dà­az Canales,
Dargaud,
14 €,
15 novembre 2013.

Images é Dargaud, Guarnido, Canales.