Injustement accusé de viol, Archer a été banni de la colonie de Fort Apache, condamné à survivre dans la zone des dangers où rode la « peste blanche ». Aidé de quelques autres jeunes, son frangin Zack quitte la communauté en douce pour venir à son aide, et tenter d’apporter la preuve de ce sordide coup monté.
Un peu à l’image de The Walking Dead, où les morts-vivants ne sont qu’un prétexte pour pousser les survivants dans leurs ultimes retranchements, Gung Ho met en scène une bande d’adolescents dans une Europe postapocalyptique, vidé des deux tiers de sa population en une décennie. Faut dire qu’entre les attaques de la peste blanche – d’innombrables primates plus ou moins imposants –, la famine et les maladies, l’humanité a dû s’organiser en de multiples villes fortifiées aux règles étouffantes et parfois violentes.
C’est le cas de Fort Apache, communauté de 400 habitants dirigée par l’inflexible Ava, dont l’approvisionnement en vivres et en armes dépend de convois ferroviaires partis de la grande ville voisine, forte de 300 000 âmes. Mais comment assurer la pérennité de la colonie quand plane d’un côté la menace extérieure d’une « marée blanche », attaque massive et irrésistible de bestioles déchaînées, et de l’autre une corruption intérieure, avec un logisticien monnayant les faveurs sexuelles des gamines en échange de biens, ce qui rend de plus en plus folle de rage la tribu d’ados de moins en moins contrôlable ? La « Colère » promise en titre peut être celle des adultes, fatigués des transgressions au règlement, mais aussi celle des jeunes, premières victimes des nombreuses injustices, passées sous silence « pour le bien de tous ».
Souvent irréfléchis, mais pas idiots, les teens de Fort Apache sont conscients de la menace mortelle prête à s’abattre, mais surtout avides de vivre, plus que de survivre, aidés en cela par leurs bouillonnantes hormones. D’où des histoires de cœur plus ou moins passionnées, plus ou moins foireuses, en tout cas jamais cucul la praline, étant donné l’omniprésence du danger. À ce titre, la violence s’invite régulièrement et sans prévenir au sein de la colonie comme à l’extérieur. En ressort un mélange de passions et pulsions, souvent dommageable pour les premiers concernés, mais parfois salutaire.
Et surtout conforme à l’état d’esprit des jeunes héros, pas du genre à se laisser consumer par la peur et l’angoisse. D’ailleurs, à l’inverse de bien des fictions postapocalyptiques, la série de Thomy von Kummant et Benjamin von Eckartsberg ne jette pas ses survivants dans des décors grisonnants, boueux et déprimants, mais au contraire dans une Europe ensoleillée où la nature verdoyante a repris ses droits et les végétaux ont colonisé les bâtiments. De quoi offrir un contraste savoureux entre ce cadre bucolique, presque paradisiaque, et l’horreur d’une violence crue. à‡a n’a l’air de pas grand-chose, mais ce parti-pris formel contribue beaucoup à l’ambiance si particulière de cette histoire de survie qui ne tient qu’à un fil, surtout avec l’ajout d’une menace inédite au cours du quatrième tome de ce récit, dont la conclusion est attendue au prochain.
Certes, le calendrier des sorties imaginé par les éditions Paquet lors de la parution du premier tome, en 2013, a volé en éclats, mais les plans initiaux n’ont pas été remis en cause, avec la prépublication de chaque tome sous forme de deux albums luxueux, grand format, précédant chaque sortie au format traditionnel. Ce qui n’a pas empêché quelques évolutions plus ou moins discutables. Ainsi le vernis sélectif en couverture, appliqué sur le personnage au premier tome, s’est inversé sur les suivants, matifiant sujet et logo pour faire briller le reste. Bizarre. Moins anecdotique, le lettrage a changé à partir du tome 3, passant à une typo plus fine, à l’aspect plus naturel. Plus contrariant, la dernière planche de ce tome 4, muette, a été imprimée en basse définition. À y regarder de près, on y perçoit les pixels, ce qui est loin de faire honneur à la prestation quasiment irréprochable de Thomy von Kummant.
Heureusement, ces aléas sont peu de chose face au souffle de cette aventure de 400 pages divisées en cinq parties. Comme souvent dans ce genre de futur détestable, l’homme est son pire ennemi, et pas sûr que les adultes parviennent à sauver le système de leur colonie, dont les trop nombreuses compromissions ont certes sauvé les meubles sur le moment, mais aussi créé les conditions d’une rupture et d’un effondrement semble-t-il inévitables. Allez savoir s’il ne restera pas que des miettes à la « peste blanche », le jour où elle se changera en marée…
P.G.
Gung Ho #4/5,
Colère,
Thomy von Kummant,
Benjamin von Eckartsberg,
Paquet,
80 pages,
17 €,
27 février 2019.
Images é Paquet, von Kummant, von Eckartsberg.