Les 5 Terres #1, toutes griffes dehors

Depuis la fin de la guerre, les cinq terres vivent en paix. Sur l’île des félins, le vieux roi Cyrus s’est entouré de jeunes otages – pardon, d’invités –, issus de chaque continent pour étouffer toute velléité. Cette fragile cohésion résistera-t-elle à  la mort annoncée du vieux tigre, père de deux princesses, mais sans héritier mâle ? Avec la désignation d’un neveu fort en gueule mais faible en politique pour lui succéder, beaucoup craignent un retour aux armes, et certains intriguent déjà  pour prendre le pouvoir…

Un vieux monarque au crépuscule de sa vie, une succession visiblement houleuse, un équilibre des forces précaire entre cinq grandes terres, d’innombrables manigances politiques en coulisse… Difficile de ne pas songer aux grandes sagas type Trône de Fer, tant 5 Terres s’en approchent avec son contexte politique, sa vingtaine de personnages principaux, mais aussi sa scène finale, choquante et inattendue. Ce premier cycle devrait néanmoins évacuer assez vite l’histoire de succession pour se concentrer sur d’autres enjeux dans un registre bien plus médiéval fantastique que fantasy, puisqu’il ne devrait être question ni de magie ni de dragons, que ce soit sur l’île d’Angleon où règnent les félins, Arnor la terre des ours et des loups, Lys celle des singes, Erinal, contrée des herbivores ou encore Ithara où vivent les reptiles. 

Si ce premier tome se déroule essentiellement à  Angleon, Jérôme Lereculey et Lewelyn ont beaucoup d’ambition pour leur univers, comptant le déployer sur 5 cycles de 6 albums, soit 30 tomes en tout. Et pas question d’attendre des lustres avant de découvrir toutes les facettes d’un monde rempli d’animaux anthropomorphes, puisque l’équipe prévoit trois livres par an, et donc 30 livres en 10 ans. « Tu bluffes Martoni Â», répliquera le lecteur averti, ignorant sans doute que derrière le pseudonyme de Lewelyn se cachent David Chauvel, Andoryss et Patrick Wong, tandis que le dessinateur Jérôme Lereculey est accompagné par Lucyd à  l’encrage, Dimitris Martinos à  la colorisation et Didier Poli à  la direction artistique.

« Les équipes à  l’américaine, on sait comment ça finit en France Â», renchérira ce même lecteur décidément bien ravagnard, pensant probablement aux grosses équipes de Lord of Burger ou du plus récent Bourreau, vite réduites comme peau de chagrin. Même l’efficace trio de Lastman n’est pas parvenu à  tenir la cadence de furieux qu’il s’était d’abord imposée. Mais s’il y a plus important que ces histoires de calendrier, les auteurs semblent avoir à  cœur de tenir le rythme, conscients qu’une saga misant sur de nombreux personnages et intrigues à  tiroirs a besoin de rendez-vous réguliers. Au sortir de ce premier tome de 54 pages, on a d’ailleurs le sentiment d’en avoir lu moitié plus.

Pas un hasard, comme l’expliquait David Chauvel dans le Casemate n°128 : « Je veux que chacun de nos albums soit plein comme un œuf, que le lecteur se dise “c’est du lourd, et attende la suite en trépignant d’impatience. Je vois passer trop d’albums dits d’introduction, où on crée un monde sans qu’il s’y passe grand-chose, avec la promesse que le suivant va dépoter. C’est une erreur fondamentale : il faut y aller à  fond dès le début, ne rien garder sous le pied. Â» Résultat, l’action est à  ce point resserrée qu’une séquence de six planches au cœur du livre, mettant en scène des reptiles dans un désert, a des allures de respiration presque trop longue, puisqu’il s’y passe finalement peu de choses, comparé à  la densité des autres scènes du bouquin.

Bref, entre querelles intestines au sein du palais royal, arrangements politiques avec des puissances rivales, souvenirs de conflits passés, ça fuse et cavale de partout dans ce premier tome d’une saga prometteuse et farcie de personnages touchants – sentiment renforcé par leurs trognes animales, merci Mufasa, merci Simba –, auxquels on redoute déjà  de trop s’attacher, par peur de les voir éparpillés façon puzzle à  plus ou moins brève échéance. Réponse au cours des 5 prochains tomes. Sinon des 24 suivants !

P.G.

Les 5 Terres #1/6,
De toutes mes forces,

Jérôme Lereculey, Lewelyn,
Delcourt,
56 pages,
15,50 €,
11 septembre 2019.


Les 5 Terres #1/6,
De toutes mes forces,

édition noir et blanc,
Delcourt,
56 pages,
23,95 €,
11 septembre 2019.

Images é Delcourt, Lereculey, Lewelyn.