Mécanique céleste : tirs à  balles rebelles

2068, du côté de Fontainebleau. À en juger par les 29°C en plein hiver, les taux de radioactivité à  faire ronronner les compteurs Geiger, et les ruines où reposent les vestiges de chars d’assaut, la bataille contre le réchauffement climatique a eu du plomb dans l’aile. Encore une BD dans un univers post-apocalyptique ? Oui, mais à  la différence de beaucoup d’autres, Mécanique céleste parie sur la bonne humeur et la légèreté, imaginant un futur où les différends entre communautés se règlent à  la balle au prisonnier !

Aster, jeune femme au tempérament de feu, rêve d’intégrer la communauté de Pan, organisée autour d’une coopérative rizicole et d’un marché au troc. Wallis, fils du chef de cette collectivité, rêve d’en sortir pour plus de liberté. Ensemble, les deux amis tuent le temps en explorant les ruines de Fontainebleau, à  la recherche d’objets à  échanger. Plus facile à  dire qu’à  faire, étant donné qu’une bonne partie des commerces d’antan sont passés sous le niveau de la Seine, et qu’on ne compte plus les animaux sauvages, eux aussi à  l’affût du moindre truc à  croquer. 

Bref, la situation s’est très mal terminée quelques décennies plus tôt, entre la montée des eaux, l’incident à  la centrale toute proche de Nogent, et les combats à  l’arme lourde qu’on devine violents. Pourtant, Merwan a beau réunir tous les ingrédients d’un drame d’anticipation, il s’en éloigne bien vite grâce à  ses personnages lumineux, à  commencer par Aster, pas du genre à  s’apitoyer sur son sort, et marrante comme tout avec ses bottes en caoutchouc et sa ceinture à  queue de renard. L’héroïne est d’ailleurs aussi imprévisible que son look, toujours première pour les facéties, et parfois marrante bien malgré elle, lorsque certaines évidences lui échappent. 

Sa candeur et son énergie portent l’aventure, jusque sur les terrains de la fameuse Mécanique céleste, sorte de sport rituel servant de cour d’arbitrage à  la République de Fortuna, vaste communauté de survivants dont la supériorité technologique leur permet de racketter les autres, en prélevant un quart de leurs denrées et matières premières. Seul moyen d’échapper à  cette spoliation : battre leur équipe lors d’une compétition de balle au prisonnier, sachant que leurs très bons joueurs sont également de très bons tricheurs…

Ce n’est pas la première fois que Merwan accorde une place importante à  la compétition dans l’une de ses bandes dessinées, puisque c’était déjà  le cas dans Pankat (Fausse Garde), son premier album paru en 2004 aux éditions Vents d’Ouest. Dans Mécanique céleste, la violence n’est en revanche que symbolique. À la différence d’un Hunger Game, on ne risque pas grand-chose lors d’une partie, si ce n’est se prendre un coup de ballon dans les dents. Le contraste entre l’aspect presque dérisoire de ce sport et les conflits aux enjeux immenses qu’il doit trancher contribue beaucoup à  l’ambiance hors-norme de la Mécanique.

Certains seront peut-être désarçonnés par cette rupture de ton, d’autant que le dernier tiers de l’ouvrage est presque exclusivement consacré à  une partie de balle au prisonnier, propice aux mises en page à  grand spectacle, où tout semble pensé pour matérialiser la puissance des frappes et cette rage de vivre, à  grand renfort de pleines pages d’illustration – toute la mise en couleurs est réalisée à  l’aquarelle, plus chouette tu meurs –, et de jeux typographiques s’invitant de long en large.

Comme pour préserver cette énergie allant crescendo jusqu’à  la fin du jeu, Merwan a préféré une conclusion abrupte, complétée par un épilogue. Si le procédé ouvre des perspectives, il peut aussi laisser un peu sur sa faim. Qu’à  cela ne tienne, Merwan devrait développer une nouvelle aventure dans l’univers post-apocalyptique et lumineux de sa Mécanique céleste.

P.G.

Pour plus d’infos, Casemate n°129 consacre un dossier de 6 pages, dont 4 planches commentées à  Mécanique céleste.

Mécanique céleste,
Merwan,
Dargaud,
200 pages,
24,99 €,
27 septembre 2019.


Mécanique céleste,
Merwan,
Dargaud – Canal BD,
216 pages, 26,99 €,

tirage 2000 ex.,
exclusivité Canal BD,
27 septembre 2019.

Images é Dargaud, Merwan.