Western et bande dessinée ont toujours fait bon ménage. Mais comment apporter du neuf à un genre ultra-codé et ultra-sexué ? Dans Mondo Reverso, Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail ont eu l’idée d’inverser les genres, cantonnant les barbus aux belles toilettes et tâches ménagères, tandis que les dames galopent fièrement à cheval, arme en main et bottes à éperons aux pieds. Couillon à souhait.
Dans Casemate n°110, Arnaud le Gouëfflec expliquait avoir eu l’idée d’un western transgenre suite au mouvement de la Manif pour tous : « J’ai été très surpris de voir à quel point le sujet déchaînait les passions. Je n’ai pas compris qu’on puisse dénier à certaines personnes des droits qui me paraissent élémentaires, et j’ai été stupéfait de voir que cette peur était telle qu’elle faisait se lever des foules entières de gens complètement hystérisés autour de cette question du genre. La meilleure réponse à cette peur est d’en rire. » Pour autant, Mondo Reverso n’a rien d’un bête tract politique, comme le rappelait Dominique Bertail dans le même numéro : « C’est une façon de riposter avec humour, mais sans message clair, puisque l’album n’a rien de communautaire. Parler de ces problèmes fait sens, en plus de son immense potentiel humoristique. Quel plaisir d’avoir à manier des femmes cowboys, et des barbus ridicules en robes ! »

Côté déconne, on est servi et resservi, puisqu’après la rencontre rafraîchissante entre Lindbergh et Cornelia dans le premier tome, le couple traverse quelques tensions dans le deuxième, madame toujours prise par son boulot, monsieur toujours cantonné aux tâches subalternes et à l’éducation des mômes. Ce jeu avec les clichés sexistes et assignations de genre va même plus loin, puisqu’on le retrouve au sein même des dialogues, montrant à quel point les expressions sont très sexuées. D’où « coq mouillé » « crapaud de bénitier », « fille de tapin », « hommelette » ou encore « Douce Jésuse ».



Si les auteurs s’amusent beaucoup avec l’aspect « reverso » de leur western, ils n’oublient pas de raconter une véritable histoire avec son lot de rebondissements. Dans le deuxième volume, la shérife Cornelia enquête sur la disparition d’un jeune garçon, kidnappé peu de temps après son cours de maintien. Lors de son investigation, l’épouse de Lindbergh est confrontée à un cirque itinérant, et donc tout un tas de freaks, mais aussi à la dangereuse baronne Samedi, véritable femme à hommes.

De son côté, Lindbergh esseulé et au bout du rouleau s’échappe de la maisonnette pour coller aux basques de son épouse. La course des deux amoureux permet à Dominique Bertail de déployer divers décors et panoramas toujours travaillés au brou de noix. Pas un cactus, pas une plante grasse, pas un relief ne manque. Le moindre caillou est un spectacle, comme dirait le dessinateur, profitant par ailleurs de la prépublication mensuelle de Mondo Reverso dans Fluide Glacial pour réinventer le logo de la série en tête de chaque chapitre. D’où des cases extrêmement puissantes, très graphiques.

Réduire Mondo Reverso à un délire potache juste bon à amuser la galerie serait incroyablement réducteur. Certes, chaque chapitre est propice à une nouvelle dinguerie, mais l’ensemble forme une fresque à l’intrigue solide, dont les rebondissements n’ont rien à envier aux westerns plus traditionnels. Quant à une éventuelle suite, il faudra prendre son mal en patience, puisque la prépublication dans Fluide n’a pas repris sans interruption, contrairement à ce qui s’était passé pour le deuxième tome. Souhaitons une simple pause plutôt qu’un au revoir à l’improbable couple Lindbergh et Cornelia !
P.G.


Mondo Reverso #1,
Dominique Bertail,
Arnaud Le Gouëfflec,
Fluide Glacial,
88 pages,
16,90 €,
10 janvier 2018.

Mondo Reverso #2,
La Bonne, la Brute et la Truande,
Dominique Bertail, Arnaud Le Gouëfflec,
Fluide Glacial,
94 pages,
16,90 €,
4 septembre 2019.
Images é Fluide Glacial, Bertail, Le Gouëfflec.