Format compact, style graphique protéiforme, expérimentation tramée… Mutafukaz est une bande dessinée qui puise son inspiration dans le comics, la franco belge mais aussi le manga. Si elle rend fou les libraires les plus acharnés du rangement compartimenté, la série créée par Run se révèle d’une fraîcheur redoutable, capable de séduire le plus blasé des lecteurs.
En jetant un œil au scénario, on se demande ce que Mutafukaz a de différent par rapport aux dizaines d’albums qui pullulent chaque mois en librairie. Les deux héros, Vinz et Angelino sont en cavale, pourchassés par des agents spéciaux douteux, répondant aux ordres d’une présidence américaine corrompue et de mèche avec des envahisseurs de l’espace. Plus qu’un goût de déjà -vu, ce pitch fait penser à une énième aventure bon marché, sans autre ambition que d’étaler gros flingues et babes en petites tenues à longueur de planches.
Mais Mutafukaz n’est pas un album qui tombe dans une routine scénaristique. Avec des éléments pourtant éculés, ce deuxième volume va de surprises en surprises, tout le temps de la centaine de planches baignées d’humour, véritable dénominateur commun à chaque chapitre de cette série inclassable.
Une aventure au taquet
Dans « Troublants trous noirs », Run reprend la recette du premier tome avec un cocktail de styles graphiques pour servir son histoire, enrichie du désormais traditionnel cahier bonus, farci d’explications et d’illustrations. Si l’effet de surprise est passé depuis « Dark Meat City », l’excitation et les innovations sont toujours présentes, comme dans la partie en noir et blanc façon manga, relevée d’un effet argenté inattendu. Bon, l’encrage n’est pas au top de sa forme, se distinguant parfois mal avec les nuances de gris, mais l’idée est rudement bonne !
Avec des expérimentations aussi bien sur la forme, qu’au niveau du découpage ou du cadrage, Run évite le fouillis infernal pour développer une histoire cohérente. En contrepartie de ces scènes à la richesse impressionnante, la trame de fond évolue peu, laissant place à de longues digressions comme la présentation d’une foutraque équipe de justiciers luchadores, accablés par la mort de leur collègue Jessy Christ.
Parsemé de courses poursuites, de ninjas, de triades, d’une bonne dose de fusillades, le tout saupoudré de la présence d’extra-terrestres, ce tome 2 de Mutafukaz se révèle encore plus dense que le précédent sans pour autant être indigeste. En bon mother fucker, Run parvient à se sortir de la profusion de situations jonglant d’une ambiance à l’autre.
Le souci du détail
Au-delà de son aventure à 200 à l’heure, l’auteur ne manque pas de faire fourmiller de détails graphiques toutes les planches de « Troublants trous noirs ». Si une lecture rapide fait passer à côté de tous ces petits bonus visuels, un retour sur l’album vaut à lui seul le coup pour découvrir les inscriptions sur les panneaux publicitaires ou admirer des scènes de la vie comme ce clochard tabassé au second plan par deux lascars ! Le genre de détail à prendre au second degré, qui fait des ruelles de Dark Meat City une ville foisonnante, loin des décors minables des téléfilms tout pourris diffusés sur M6.
En matière de clins d’œil, Run a le chic pour les placer au bon moment ou dans le bon contexte. Tout débute avec le fameux cercle noir organique qui n’est pas sans rappeler celui du film Qui veut la peau de Roger Rabbit ?.
Plus loin, l’ambiance manga arrive peu à peu et un Takeshi Kitano armé d’un silencieux (page 45) ouvre le bal à une longue partie noir et blanc où le découpage dynamique détaille les scènes d’actions jusqu’au paroxysme.
À ce moment-là , Angelino est guidé par une force, dans le plus pur style nekketsu (sang bouillonnant), comme on peut le trouver dans plusieurs manga shônen comme Saint Seiya.
Fidèle à son amour pour les séries B et Z, Run utilise à nouveau la police de caractère de Tales from the Crypt, ainsi que les effets de 3D (page 75) qui ont fait le bonheur des salles obscures à l’aide des célèbres lunettesa en carton.
Outre l’aspect visuel, le sens de la réplique n’est pas en reste. Avec des dialogues savoureux, les personnages ne mégotent pas sur le « parlé djeuns », sans tomber dans le ridicule qui illustre bon nombre d’albums engagés sur cette voie ô combien casse gueule.
Dans la ligne droite de son prédécesseur, ce tome 2 est fort d’une cohérence loin d’être gagnée face à la richesse du récit. Alors oui, le fil rouge de l’histoire évolue à peine et peu de réponses sont apportées, mais cette carence est la condition pour bénéficier de longues scènes secondaires mémorables, à l’instar de la rencontre musclée entre le luchador Headache et un gang néonazi. Le genre de scène dispensable qui fait pourtant tout le sel de Mutafukaz, soit une série tout en relief, simplement incontournable.