Inspiré de Dominique de Villepin, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères sous la présidence Jacques Chirac, Alexandre Taillard de Vorms est une tornade, une bourrasque virevoltant d’une pièce à l’autre au milieu de conseillers accablés de travail. En adaptant la bande dessinée de Christophe Blain et Abel Lanzac sur grand écran, Bertrand Tavernier restitue-t-il la fluidité et la cadence de la BD ?
[dropcap size=dropcap-big]C[/dropcap]ôté scénario, tout commence très bien. Les auteurs de la bande dessinée sont coscénaristes de l’adaptation ciné et la première rencontre entre le ministre et Arthur Vlaminck, à qui est confié le « langage » en pleine crise irakienne – le pays est renommé Lousdemistan –, reprend quasi mot pour mot la scène proposée en bande dessinée.
Pourtant, si les envolées lyriques du ministre avaient quelque chose de fascinant dans le diptyque publié chez Dargaud, elles ont tendance à faire passer Taillard de Vorms pour un grand guignol qui s’écoute trop souvent parler sur grand écran, brassant essentiellement du vent entre deux conversations avec amis philosophes ou poètes. Pis, là où Blain dessinait un Vorms colossal, vrombissant à 200km/heure dans les couloirs du Quai d’Orsay, son double, interprété par un longiligne Lhermitte, manque d’ampleur, même si chacun de ses passages à l’écran s’accompagne de monumentaux claquements de porte, lesquels éjectent systématiquement feuilles et dossiers présents dans la pièce. Rigolo au début, le gag finit par lasser, comme celui de l’ours Cannelle, qui passionne tant le président de la République alors que le monde traverse une crise politique majeure.
Côté casting, Tavernier a choisi des acteurs collant parfaitement aux physiques dessinés par Blain, à de rares exceptions comme le père du ministre. Arthur est en retrait ce qu’il faut, tandis que Maupas, directeur de cabinet, s’impose en maître dans l’art de temporiser, d’encadrer le débordant ministre. Véritable clé de voûte du Quai d’Orsay, le personnage campé par Niels Arestrup est aussi celle du film, tant l’acteur livre une performance hors-norme, faisant presque oublier les gesticulations de Lhermitte. Car l’ancien du Splendid, malgré le cœur qu’il met à l’ouvrage, n’est franchement pas à la hauteur de son double de papier. Résultat, son action manque de souffle et de lisibilité, impression soutenue par un rythme en dents de scie alternant des saynètes parfois très drôles (toutes celles avec les stabilos) et d’autres moins palpitantes, comme l’escapade éclair dans un pays en crise qui semble – c’est un comble – durer une éternité. Même si ces scènes restent globalement fidèles à la BD, elles s’enchaînent bien plus laborieusement sur grand écran, si bien qu’on sent passer les 1 h 53 du film, là où l’œuvre de Blain et Lanzac captivait du début à la fin, malgré des pages aux dialogues abondants.
Loin d’être mauvaise, l’adaptation de Quai d’Orsay au cinéma ne rend pourtant pas grâce à toute l’énergie dont déborde la BD. Malgré ses efforts et ses trouvailles de mise en scène, Bertrand Tavernier ne parvient pas à rivaliser avec la tornade imaginée par Blain et Lanzac, donnant à son ministre-Lhermitte un côté ridicule qui ne transpire pas, ou si peu, dans l’œuvre papier.
Quai d’Orsay, de Bertrand Tavernier, avec Thierry Lhermitte, Raphaël Personnaz, Niels Arestrup, d’après la BD de Christophe Blain et Abel Lanzac publiée chez Dargaud. 1 h 53, en salle le 6 novembre 2013.