Vendredi dernier se tenait l’avant-première de Persepolis au club de l’étoile à Paris. Sur le pied de guerre, nos envoyés spéciaux n’avaient pas prévu l’ingérence climatique sur la capitale, en atteste leur disparition, engloutis par les flots insolents. Heureusement pour nous, un de nos lecteurs d’élite a pu assister à la projection, il nous livre ses impressions.
Il y a deux façons d’adapter la bande dessinée au cinéma : tenter de coller au plus près de l’œuvre en prenant le risque de se ramasser totalement ou bien se mettre en danger en s’en écartant, pour faire un film plus original.
Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud posent l’équation et répondent par le juste milieu pour adapter Persepolis, le best-seller autobiographique en 4 tomes de Satrapi publié chez L’Association. L’œuvre au million d’exemplaires vendus dans le monde trouve une place de choix dans le 7ème art en figurant en compétition à Cannes dans la sélection officielle, et en remportant – à égalité avec Lumière Silencieuse de Carlos Reygadas – le Prix du Jury.
Le film se scinde grosso modo en deux parties avec l’enfance de l’auteur en Iran, au moment du renversement du Chah et de l’installation de la République islamique qui s’ensuit, puis l’adolescence en Europe, à Vienne plus précisément, où Marjane est confrontée à la culture occidentale et à ses regards de travers sur elle-même et ses origines.
Alors qu’enfant elle souhaite devenir prophète, promettant – entre autres – un poulet rôti par jour à chacun et la garantie du bonheur pour les personnes âgées, les hommes tombent sous les balles dans la rue, si ce n’est sous les bombes lâchées sur Téhéran par l’Irak. Inutile de vous dire que les larmes ont coulé sur les joues des spectateurs ce soir d’avant-première, la guerre vue à travers les yeux d’une petite fille.
Mais le ton n’est pas pour autant à l’apitoiement et à la complaisance. La culture punk des auteurs se fait sentir dans le ton des dialogues parfois hilarants (faisant contraste avec les larmes versées juste avant) mais surtout dans le parti pris graphique.
Délicieuse prise de risque
L’animation de ce film est un pur bonheur. En noir et blanc (à part la partie narrative où le personnage de Marjane adulte est en couleur), les dessins sont très proches de ceux de la bande dessinée avec parfois une touche d’excentricité, propre aux univers de Vincent Paronnaud, aka Winschluss.L’expressivité sur les visages, les décors, les phases elliptiques où un oncle de Marjane lui explique l’histoire de son pays, tout est d’une fluidité et d’une légèreté à couper le souffle, sans être rétrograde et en gardant l’aspect livre. Souvent, j’ai eu l’impression de feuilleter un flip-book en regardant ce film. Je pense que Miyazaki adorerait.
Malgré tous les éloges faits, Persepolis semble un peu trop occidentalisé. Tous les personnages iraniens parlent en français au lieu de parler persan alors que les Autrichiens de Vienne parlent soit un français très accentué, soit allemand, selon leur importance dans l’histoire. Je n’aurais pas été dérangé si le film avait été en persan et sous-titré.
Même chose pour la musique du début du film qui semble assez occidentalisée. Peut-être que les réalisateurs n’ont pas voulu tomber dans le folklore et le pittoresque, mais on a tout de même l’impression de perdre un petit quelque chose.
Néanmoins, ces détails sont l’arbre qui cache la forêt d’yeux émerveillés qui parsemaient la salle devant ce film beau et diversifié, emmenant le spectateur du rire aux larmes et du cours de l’Histoire (avec sa grande hache, comme dirait l’autre) à l’intimité de l’autobiographie. Une très belle œuvre.